Kevin Samuel in Academia

Le méta-théâtre dans « Au bout du rouleau »

couverture de la pièce publiée
  1. L'étymologie de l'expression

    quand une personne ne sait pas quoi dire, ni comment réagir, on imagine qu'elle est comme à la fin de son texte de théâtre. On dit alors qu’elle est "au bout de son rôlet". (Bern)

  2. L'incipit

    Un salon en désordre. Un homme (ou une femme) somnole dans un fauteuil. Le téléphone sonne, le sortant de sa torpeur. Il décroche comme un somnambule.

    Auteur (peu aimable) -- Allô ! (Sans prendre le temps d’écouter)
    Vous allez me dire que le rendez-vous est annulé, c’est ça ?
    (Reprenant un peu ses esprits) Le Crédit Mutuel ?

    (Se radoucissant) Ah pardon, non parce que j’attends un journaliste qui doit m’interviewer et...

    Oui, je sais, un petit découvert, j’ai vu ça... Un gros ? Disons un moyen, alors... Bon, on ne va pas jouer sur les mots, non plus... Ne vous inquiétez pas, je m’apprêtais justement à sortir pour aller déposer un chèque que je viens de recevoir...

    Une avance pour l’écriture de ma prochaine pièce, oui... Vous allez au théâtre de temps en temps ?

    Non bien sûr, ce n’est pas le sujet... Écoutez, la ligne n’est pas très bonne... Ah, je crois que j’ai entendu sonner, ça doit être mon journaliste... Oui, c’est ça, je vous rappelle... Ah, là je ne vous entends plus du tout... Je vais vraiment être obligé de raccrocher...

    (Martinez 6)

  3. Lionel Abel dans Metatheatre: A New View of Dramatic Form (cité par Thumiger 10)

    theatre pieces about life seen as already theatricalized… [whose characters] themeselves know they were dramatic before the playwright took note of them.

  4. Un -- Vous croyez qu'ils vont venir ?

    Deux -- Qui ça ?

    Un -- Les gens !

    Deux -- Les gens ? Vous voulez dire le public...

    Un -- Les spectateurs, quoi !

    Deux -- Ah, oui, les spectateurs...

    Un -- On ne peut pas jouer s'il n'y a pas de spectateurs.

    (Martinez 3)

  5. Auteur (au public) -- Être ou ne pas être...? Shakespeare avait raison, c'est bien la question. En tout cas, moi, c'est ce que je me demande tous les matins en me regardant dans la glace. (S'adressant éventuellement à quelqu'un de jeune dans la salle) Quand on est jeune et beau, évidemment, la réponse ne fait aucun doute.

    (Martinez 6)

  6. Deux -- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

    Un -- Comment ça, qu'est-ce qu'on fait ?

    Deux -- Maintenant que les spectateurs sont là ! Il faut bien faire quelque chose.

    Un -- C'est que moi je n'ai rien préparé. Et vous ?

    Deux -- Moi non plus.

    Un -- On ne s'y attendait pas.

    Deux -- C'est tellement soudain...

    Un -- On n'y croyait plus...

    Deux -- Depuis le temps.

    Un -- C'est de leur faute aussi...

    Deux -- Ils auraient pu nous prévenir.

    Un -- On ne va pas comme ça au théâtre à l'improviste.

    Deux -- Ça ne se fait pas.

    (Martinez 5)

  7. C'est bizarre, j'ai fait un drôle de rêve. J'étais sur scène avec un partenaire de jeu. La salle était vide. On se demandait si quelqu'un allait venir. Et puis tout d'un coup, on se rendait compte que la salle était pleine. Le drame, c'est que... on n'avait rien à jouer.

    (Martinez 6)

  8. Visiteuse -- ... J'ai une idée !

    Auteur (sursautant) -- Vous m'avez presque fait peur...

    Visiteuse -- Un mec aime une fille, mais leurs familles se détestent.

    Auteur -- C'est Roméo et Juliette.

    Visiteuse -- Un mec aime une fille, mais son père tue accidentellement celui de la fille.

    Auteur -- Le Cid.

    Visiteuse -- Un mec aime une fille mais en réalité c'est un homme.

    Auteur -- Certains l'aiment chaud.

    Visiteuse -- Tiens, je ne la connais pas, cette pièce-là.

    Auteur -- C'est un film.

    Visiteuse -- Vous êtes sûr ?

    Auteur -- Certain.

    Visiteuse -- Un mec aime un mec mais en réalité c'est une fille.

    Auteur -- Victor Victoria.

    Visiteuse -- Une femme aime une femme mais en réalité c'est un homme.

    Auteur -- Tootsie.

    Visiteuse -- Putain... Je ne pensais pas que c'était si difficile que ça d'être un auteur contemporain. Tout a déjà été écrit, alors...?

    Auteur -- Tout...

    (Martinez 27-28)

  9. Auteur -- ... Alors, où est-ce qu'on en était ?

    Visiteuse -- Nulle part, j'en ai peur.

    Auteur -- Oui, c'est bien ce que je craignais.

    Visiteuse -- Et si on écrivait l'histoire d'un auteur qui a perdu l'inspiration ?

    Auteur -- Je vois... Une nana sonne à sa porte, et elle prétend être journaliste...

    Visiteuse -- Pourquoi pas ?

    Auteur -- Le théâtre dans le théâtre... Je m'étais promis de ne jamais tomber aussi bas...

    (Martinez 26)

  10. Visiteuse -- Un théâtre, qui souhaite monter votre dernière pièce à Paris.

    Auteur -- Un théâtre ? Quel théâtre ?

    Visiteuse -- J'aurais dû noter le nom tout de suite, mais vous m'avez interrompue... Ça a quelque chose à voir avec le code de la route...

    Auteur -- Le code de la route ?

    Visiteuse -- Et ça évoque en même temps l'idée d'un théâtre qui tourne en rond...

    Auteur -- Le Théâtre du Rond Point ?

    Visiteuse -- C'est ça !

    Auteur -- Mais ils ne jouent que des auteurs vivants !

    Visiteuse -- Votre cadavre est encore chaud, on ne va pas chipoter, non ?

    (Martinez 34)

  11. Auteur -- Pourquoi pas... Mais quand vous dites ma dernière pièce, vous voulez dire...

    Visiteuse -- Celle que vous n'avez pas encore écrite.

    Auteur -- Mais puisque je suis mort ?

    Visiteuse -- Vous avez entendu, je leur ai dit que vous aviez un inédit.

    Auteur -- Oui... Mais je n'en ai pas...

    Visiteuse -- Comme vous n'êtes pas vraiment mort, vous allez pouvoir l'écrire.

    Auteur -- Enfin puisque je vous dis que j'ai perdu l'inspiration !

    Visiteuse -- Ça c'était avant !

    Auteur -- Avant ?

    Visiteuse -- Avant que vous ne soyez redevenu un auteur à succès.

    Auteur -- Vous voulez dire un auteur mort.

    Visiteuse -- Aussi, oui... Maintenant que vous avez toute la mort devant vous, vous allez avoir le temps de l'écrire, cette pièce. Je m'occuperai du reste.

    Auteur -- Excusez-moi de poser cette question mais... je vais rester mort pendant combien de temps à peu près ?

    Visiteuse -- Disons le temps d'écrire cette 124ème pièce. Après on verra.

    (Martinez 35)

  12. Visiteuse -- Georges ? Cette fois, c'est bon. Je crois qu'il va l'écrire, sa 124ème pièce... OK, on y est peut-être allé un peu fort avec le Prix du Boulevard Beaumarchais et la Médaille des Chiffres et des Lettres... C'est sûr, il va être déçu en apprenant qu'il n'a ni l'un ni l'autre, mais bon... C'est pour son bien... Et puis on ne sait jamais, si sa nouvelle pièce est vraiment bonne... Oui, vous avez raison, s'il n'est pas mort avant... À ce propos, il faudra que je vous explique. J'ai dû improviser un peu...

    (Martinez 35-36)

  13. Auteur -- Ne vous inquiétez pas. Je ne sais pas pourquoi mais tout à coup, d'être mort, ça me redonne le moral.

    Visiteuse -- Tant mieux... Donc vous avez une idée ?

    Auteur -- Il vaut toujours mieux partir de la réalité. Alors tant pis. Va pour le théâtre dans le théâtre. C'est l'histoire d'un auteur qui a perdu l'inspiration. Un jour, une journaliste vient sonner à sa porte...

    Visiteuse -- Oui, ça me rappelle quelque chose... Et vous avez déjà un titre ?

    Auteur -- Pourquoi pas... « Au bout du rouleau » ?

    Visiteuse -- Ça n'a pas déjà été fait ?

    Auteur -- Ah oui mais alors là... Si en plus il faut un titre original...

    Visiteuse -- Va pour « Au bout du rouleau »...

    Auteur -- Si je vous dictais, ça irait plus vite non ? (Il place une vieille machine à écrire devant la visiteuse.) Tenez, j'ai retrouvé un rouleau...

    Visiteuse -- Je vous écoute...

    (Martinez 36-37)

  14. L'auteur commence à dicter, très inspiré, comme s'il voyait la scène.

    Auteur -- Un salon en désordre. Un homme somnole dans un fauteuil. Tout à coup le téléphone sonne, le sortant de sa torpeur. Il décroche comme un somnambule. Allô !

    Noir.

    Fin.

    (Martinez 37)


Bibliographie